PLUMAGE ET RELATIONS SOCIALES extrait du livre de J.Dorst " les oiseaux ne sont pas tombés du ciel " (1995-2001).

Le plumage et ses colorations jouent également, on s'en doute, un rôle de premier plan dans les relations sociales au sein d'une population de même espèce et, dans une certaine mesure, d'une communauté d'oiseaux tout entière.

Un des aspects parmi les plus importants concerne la dominance d'un individu donné par rapport à ses congénères, avant tout à l'intérieur de son territoire. Rappelons qu'au moment de la reproduction les mâles s'établissent sur une portion de l'habitat d'étendue variable selon l'espèce et les conditions écologiques locales. Chacun en défend les limites contre l'intrusion de rivaux par des comportements faisant appel en bonne partie à des stimuli visuels. Ceux-ci jouent un rôle essentiel dans la " défense rapprochée ", le chant et les cris intervenant surtout à plus grande distance. Les mâles en plein plumage sont nettement avantagés par leur vive coloration, sans aucun doute aussi en relation avec les conditions hormonales dont celle-ci est le reflet. Des expériences récentes sur des Passereaux nord-américains, les Roselins familiers, l'ont démontré. Les mâles adultes arborent des plumages variant du jaune pâle au rouge vif. Or, en captivité, les femelles ont clairement montré qu'elles préféraient ces derniers. Des observations dans la nature ont confirmé ce choix, les couples appariés comportant en grande majorité des mâles bien colorés, les moins parés étant inemployés.

Par ailleurs, l'oiseau confronté à un intrus affirme la possession de son territoire en exhibant ses plages colorées, traduisant son identité un peu comme les chevaliers du Moyen Âge affichaient leur blason. Un exemple classique est celui de notre familier Rouge-gorge, dont le nom provient de la large tache rouge brique qui orne sa poitrine. Son exhibition a valeur de signal : l'oiseau est " chez lui ". Le message est d'autant plus clair que la tache est plus vive. Dans la plupart des cas, ce comportement entraîne la retraite de son rival. La signification du message est sans équivoque : un lambeau de la poitrine prélevée sur un sujet naturalisé, voire un petit morceau d'étoffe rouge, déclenchent la même réaction. Un tel comportement a pour effet de sublimer la confrontation et d'éviter une bagarre inutile, préjudiciable aux intéressés comme à l'espèce, sauf si la compétition concerne des mâles tous les deux vraiment motivés. De telles attitudes se retrouvent chez tous les oiseaux et ne leur sont d'ailleurs pas propres, les équivalents existant chez d'autres vertébrés, mammifères, reptiles et poissons.

Point de telles réactions quand il s'agit de femelles ou de jeunes dont le plumage, souvent différent (exemple de l'Outarde, ci-dessous), ne présente pas les plages colorées déclenchant l'agressivité. Cela est certainement la " raison " pour laquelle les immatures se trouvent protégés par un plumage qui rappelle plus ou moins celui des femelles. Chez d'autres, il est au contraire très différent de la livrée des adultes, par exemple chez les Goélands, dont les jeunes sont largement marqués de larges stries brunes et noirâtres en fort contraste avec le plumage gris et blanc des adultes. Le temps qui s'écoule avant l'acquisition du plumage définitif est relativement bref chez les Passereaux dont la longévité est courte, mais il s'échelonne sur plusieurs années chez d'autres, jusqu'à sept ou huit chez les grands Rapaces. Ce n'est que quand ils seront en âge de se reproduire qu'ils prendront leur apparence définitive et seront en état de défendre leur rang dans la société, en particulier de s'approprier un territoire, condition essentielle au succès de leur reproduction. Le plumage juvénile est ainsi une protection contre l'agressivité des adultes avec lesquels ils ne sont pas encore en état d'entrer en compétition. Le phénomène s'observe bien sûr chez d'autres vertébrés, en particulier chez les poissons de coraux et les mammifères, ce n'est que quand leurs bois ou les cornes de ces derniers auront atteint une certaine taille qu'ils commenceront à susciter la jalousie des adultes. Plumages juvéniles et autres caractères traduisent leur état d'immatures et ne sont que le reflet visible d'un état hormonal qui les soustrait à la compétition.

Les diverses significations des plages colorées sont attestées par l'existence chez beaucoup d'espèces d'un plumage plus terne et ne comportant pas de parures, en dehors de la période de reproduction. C'est le cas chez les migrateurs, qui passent par deux mues annuelles, l'une avant leur départ pour leurs quartiers d'hiver et l'autre au retour vers leurs lieux de nidification. Les petits Échassiers, Pluviers, Bécasseaux Chevaliers et autres, ainsi que les Canards, présentent l'alternance d'un plumage nuptial et d'un plumage dit d'éclipse, qui s'extériorise lors de la mue suivant la reproduction. Le premier est le seul qui fasse apparaître clairement les caractères du plumage propre à l'espèce, avec toutes ses couleurs, ainsi que la différence entre mâle et femelle. C'est lui qui intervient lors des parades nuptiales et des manifestations de dominance et de territorialité. Les oiseaux vivent alors en solitaires ou par couples, parfois en petites colonies. Puis, la reproduction terminée, ils s'assemblent en perdant toute agressivité et en manifestant au contraire leur sociabilité. C'est alors qu'ils muent et, en perdant leurs couleurs les plus vives et les ornements du plumage de noces, acquièrent une livrée plus terne, les mâles ressemblant aux femelles et aux jeunes. Il est alors souvent même difficile de reconnaître à première vue des espèces voisines, ce que savent tous les ornithologues. Petits Échassiers et Canards s'assemblent alors en troupes énormes aux étapes de migration ou en hivernage. Cette perte du plumage marquant le sexe, la hiérarchie et l'âge, en rapport avec celle des comportements de dominance et de territorialité, concorde bien avec le grégarisme et la sociabilité dont tous ces oiseaux témoignent en dehors de la période de reproduction. La promiscuité ne saurait souffrir l'existence d'un plumage à sens de compétition et d'agressivité, même si la régression des glandes sexuelles diminue largement les effets des hormones qui les déterminent. Les oiseaux gagnent à être dépourvus des signaux qui annonceraient ces comportements au moment où ils ne sont plus de mise. C'est donc sous des livrées modestes, des tenues de voyage, qu'ils vont migrer et passer en parfaite harmonie la mauvaise saison dans leurs quartiers d'hiver. L'inévitable compétition alimentaire est alors la seule à exercer ses effets. Ils peuvent donc se tenir en vastes bandes jusqu'au printemps suivant, quand une nouvelle mue les remettra dans les conditions nécessaires au succès de la reproduction.

Ces mues successives respectent certaines plages colorées n'intervenant pas nécessairement dans les parades nuptiales. Elles jouent surtout un rôle dans les mouvements de groupe. Il suffit d'avoir observé une troupe de petits Échassiers s'envolant des vasières pour garder le souvenir de leurs évolutions aériennes parfaitement coordonnées. Quels que soient les effectifs, tous changent de cap d'une manière synchrone. Ils présentent tantôt le dos de couleur sombre, tantôt les parties inférieures blanches. Cette alternance a, elle aussi, valeur de signal en facilitant les évolutions de nombreux individus massés dans un espace aérien limité et dans les meilleures conditions aérodynamiques.






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